Résumé de l'intervention
M. DUPUY.- Comme cela m'a été demandé, je vais essayer très rapidement, de dresser un panorama de la situation actuelle du management. Que se passe-t-il dans ce monde du management ?
Si l'on veut décrire ce que vit le management, aujourd'hui, il faut revenir un peu en arrière. Air France, il y a 20 ans, représentait assez bien le modèle traditionnel d'organisation que l'on connaissait depuis même la Première Guerre mondiale : le modèle d'organisation taylorien, c'est-à-dire une organisation en silos ou organisation segmentée et séquentielle. Chacun travaille dans son silo et chacun ne fait son travail que quand celui, qui le précède dans le process du travail, a terminé le sien. Les administrations publiques, aujourd'hui, ont gardé le taylorisme à l'état à peu près pur.
On a souvent critiqué ce type d'organisation mais on s'est rendu compte ex post, que ce sont des organisations qui sont extrêmement protectrices pour les gens qui travaillent à l'intérieur de ce type d'organisation, face aux deux problèmes majeurs que l'on doit affronter quand on travaille dans une organisation :
• Les clients. Personne n'est responsable face aux clients quand vous travaillez dans le segmenté séquentiel.
• Les autres, les collègues et néanmoins amis. Parce que dans ce type d'organisation segmentée, on est protégé contre la coopération.
Or, la coopération, c'est tout sauf facile. C'est quelque chose de difficile car cela vous met en situation de dépendance vis-à-vis des autres. Donc, tant que l'on travaille dans notre silo, on ne dépend de personne. Le travail en silo, c'est ce que l'on a appelé poliment pendant des années "l'autonomie".
Si ce système est si protecteur, pourquoi en a-t-on changé ? Parce que pour ceux qui sont à l'extérieur, c'est-à-dire les clients, il détériore la qualité et il accroît le coût.
Ce mode de fonctionnement ou d'organisation peut donc être pratiqué tant qu'on n'est pas en situation concurrentielle. Parce que, tant que l'on n'est pas en situation de concurrence, on externalise le surcoût et le manque de qualité sur le client. Mais le jour où l'on entre dans un système concurrentiel dur, le client refuse ce que les économistes appellent les externalités. Ces types d'organisation protectrice, avec l'ouverture des marchés, ce que l'on appelle la mondialisation, se sont heurtés à la "nouvelle" demande du client qui est "je veux plus pour moins" ce qui se traduit pour les organisations par : "il faut faire plus avec moins".
Quelle variable d'ajustement a permis de répondre à cette apparente contradiction de faire plus avec moins ? C'est l'organisation du travail. Donc, on est passé, ou à tout le moins on a essayé de passer, de ce mode segmenté et séquentiel au mode de travail transversal, au mode de travail par projet. On a essayé de regarder comment on pouvait introduire de la coopération dans les façons de travailler (exemple type : le travail du coordo).
La coopération est un mot qui a une connotation très positive. Cependant, coopérer est beaucoup plus difficile que de ne pas coopérer car, quand on va vous demander de coopérer, vous allez rentrer dans des modes de confrontation. C'est-à-dire que vous allez être obligé de confronter votre logique avec la logique de l'autre.
Si vous y réfléchissez un petit peu, passer d'un mode d'organisation segmentée et séquentielle à des organisations beaucoup plus transversales, beaucoup plus horizontales, cela a consisté à déprotéger le travail. Ne vous trompez pas quand je parle de déprotéger le travail, je ne parle pas de menaces sur l'emploi ou de licenciements. Je vous parle du fait que l'on est passé de modalités protectrices de travail à des modalités qui ne le protégeaient plus. Le mode transversal ne protège plus ni du client, ni de ceux avec qui on doit travailler. Il peut donc parfois amener au suicide qui est la forme ultime de retrait du travail.
Pourquoi y-a-t-il eu ces formes de retrait du travail et qui continuent d'inquiéter autant les entreprises ? Parce que les salariés ont vécu implicitement ce passage à des modalités de travail bien moins protectrices comme une rupture de l'accord traditionnel, du deal traditionnel qui les unissait à leur entreprise (protection dans le travail d'un côté, dévouement total à l'entreprise de l'autre).
Les entreprises ayant rompu leur partie du deal sous la pression de la mondialisation, les salariés ont rompu leur propre partie du deal.
Nous sommes rentrés dans cette phase qui dure encore, qui est la phase de désinvestissement du travail, non pas spécialement en termes de temps du travail mais en termes de retrait émotionnel du travail, c'est-à-dire d'engagement.
Petit à petit, on a assisté à des phénomènes de retrait et de moindre engagement des salariés dans le travail. Finalement, les entreprises ont eu beaucoup de mal à comprendre et ont toujours beaucoup de mal à comprendre que s'engager dans le travail, pour les salariés, c'est une possibilité parmi tant d'autres. L'engagement dans le travail est une alternative possible.
En changeant, sous la pression, les formes d'organisation du travail, les entreprises ont rendu l'engagement dans le travail peu attractif. Donc, elles se sont trouvées dans le paradoxe suivant : au moment où elles avaient le plus besoin de salariés engagés pour faire face à la pression des marchés, ces salariés se sont désengagés du travail.
Comment les entreprises ont-elles répondu à partir des années 1990 ? À partir des années 2000 ? Par la coercition. Les phénomènes de retrait du travail ont amené à un management coercitif.
Qu'est-ce que j'appelle la coercition ? Les Trois Affreuses par comparaison aux Trente Glorieuses : la multiplication des process ; la multiplication des indicateurs de performance et la multiplication des systèmes de reporting. Hors du contrôle de qui que ce soit.
Nous sommes arrivés au paradoxe suivant : en multipliant ces systèmes coercitifs (les process, les indicateurs de performance, les systèmes de reporting), pour essayer d'établir du contrôle sur ce que faisaient les gens, on a perdu tout contrôle sur ce qu'ils font.
Lorsque les salariés veulent exercer une pression maximale sur leur Direction, ils décident soudainement d'appliquer toutes les règles, toutes les procédures, tous les process qu'ils sont censés appliquer. On appelle cela la grève du zèle. Tout le monde le sait. Cela n'empêche personne de continuer à multiplier les règles, les procédures, les process, les indicateurs mais en espérant que les gens seront assez intelligents pour ne pas les appliquer. Donc, en multipliant tous ces systèmes coercitifs, au lieu d'établir le contrôle détaillé sur ce que font les gens, vous leur avez offert une marge de négociation qu'ils n'avaient jamais eue précédemment.
En continuant dans cette voie, les entreprises vont dans le mur et commencent à s'en rendre compte. J'observe d'ailleurs que tous ces systèmes nous sont venus du monde anglo-saxon, essentiellement des Etats-Unis et que leur mise en cause vient à nouveau des Etats-Unis.
Quand j'observe ce qui se passe de l'autre côté de l'atlantique, pour essayer de repérer ce que sont les nouvelles tendances dans le management, j'en vois apparaître deux qui, à mon avis, constituent probablement l'avenir, qui est, de ce point de vue, beaucoup plus optimiste que ce que je viens de dire.
Premièrement, le retour ou la tentative de revenir à beaucoup plus de simplicité (plus difficile que d'être compliqué). Donc, le retour à la simplicité est extrêmement dur car, aucun des acteurs ne se rend bien compte du niveau de sa propre contribution à la production de toutes ces choses qui ne servent à rien, sinon à créer de la complexité. C'est extrêmement difficile. Il y a des entreprises qui s'y sont attaquées et qui ne s'en tirent pas trop mal.
Deuxièmement, un retour de la confiance dans le management. C'est terrible de parler de confiance aux Français, parce que la France est un pays de non-confiance. En France, quand quelqu'un vous dit "fais-moi confiance", vous vous demandez ce qu'il vous cache. Alors que quand vous vivez aux Etats-Unis, vous comprenez matériellement et quotidiennement ce qu'est une société de confiance.
Qu'est-ce qui permet la confiance dans les relations de travail ? C'est le fait que ceux qui travaillent ensemble ne soient pas imprévisibles. Plus un acteur est imprévisible, moins vous pouvez lui faire confiance. Donc, ce qui va permettre de faire confiance, c'est que les acteurs acceptent de devenir plus prévisibles, donc acceptent de réduire leur imprévisibilité.
Comment appelle-t-on le fait d'accepter de réduire son imprévisibilité, de devenir plus prévisible ? L'éthique. Dans ce sens, on peut introduire de la confiance dans le travail, quand les acteurs acceptent cette éthique de la prévisibilité.
Ne croyez pas que ce soit facile d'accepter de devenir prévisible parce que, justement, dans les organisations, ce qui vous donne du pouvoir dans les organisations, c'est d'être imprévisible. Si vous renoncez à être imprévisible, vous renoncez à une partie de votre pouvoir. Par contre, vous ne pourrez inspirer de la confiance aux autres que si vous acceptez de renoncer à une partie de votre pouvoir. Néanmoins, c'est une des conditions pour arriver vers une forme de management de travail collectif, qui soit beaucoup moins dur pour tout le monde et qui puisse se substituer à l'ensemble de ces règles, procédures et process, qui produisent des effets pervers pour toutes les organisations dans lesquelles personne n'en a contrôlé la production.
Contact email : fd@francoisdupuy.com
Résumé du débat
QUESTION.- Avez-vous, en France ou en Europe, aujourd'hui, des exemples de ce changement de paradigme "davantage de confiance/moins d'imprévisibilité" ?
M. DUPUY.- CISCO qui vend des solutions intégrées. Pour cela, il faut bien faire appel à différentes parties de l'organisation, capables de vous fournir les éléments de la solution. Pour répondre à la demande d'un client, ils constituent ce qu'ils appellent des communautés virtuelles, qui se fixent leurs propres règles du jeu. La sanction, si l'on ne respecte pas les règles du jeu, étant l'exclusion du groupe. Une fois que le projet a été constitué, la communauté virtuelle se dissout et on peut passer à autre chose.
La Poste est aux antipodes. Le courrier à la Poste est un système qui s'autorégule, parce que petit à petit les acteurs ont été amenés à se faire confiance. En effet, le facteur a tout intérêt à faire sa tournée le plus rapidement possible et le mieux possible pour pouvoir travailler à nouveau derrière. En même temps, il ne peut pas la faire trop vite, sinon son supérieur hiérarchique va se dire que la tournée n'est pas assez chargée et rajouter quelque chose dedans. Il y a un système qui s'équilibre, chaque acteur faisant confiance à l'autre et tout le monde y gagne.
M. CADOREL.- Quand vous disiez que plus vite il a terminé, plus vite il peut faire un travail. Est-ce un autre travail ?
M. DUPUY.- Un facteur ne gagne pas beaucoup d'argent. Un facteur, au bout de 20 ans de carrière, gagne 1 300 €. Or, le salaire n'est jamais ressenti comme un aspect négatif de leur travail, parce que, compte tenu de l'organisation, ils sont libres de gagner ce qu'ils veulent dans le travail qu'ils vont faire dans l'après-midi. Or, le règlement de la Poste interdit de travailler l'après-midi, sauf si vous vous livrez à des activités artistiques. Pourtant, quel est le premier fournisseur de travail illégal aux facteurs ? C'est la Poste elle-même qui, l'après-midi, les fait revenir, sur une base de volontariat, pour trier le courrier non adressé, c'est-à-dire les publicités, etc. Cette rémunération-là peut varier entre 2 500 € et 5 000 à 5 500 € par mois. C'est un système extraordinairement bien régulé, dans lequel tous les acteurs se font confiance à la satisfaction générale. Le seul problème que ce système doit affronter et va affronter de plus en plus durement, c'est la diminution régulière du courrier. Mais ils ont trouvé des solutions astucieuses sans remettre en cause la façon dont c'est fait. Ils ont institué des tournées sécables. C'est-à-dire que l'on peut toujours rajouter une partie de tournée de quelqu'un à la tournée d'un autre. Ils ont introduit des facteurs de souplesse avec l'accord de tous. Notre sujet ce n'est pas, les facteurs.
QUESTION.- Comment expliquez-vous la notion de perte de confiance dans l'entreprise ? Est-ce que vous l'expliquez uniquement par rapport au management ou aux autres ? Cette perte de confiance quasiment permanente que nous avons à Air France affronte paradoxalement notre grande fierté de l'entreprise. Comment arrive-t-on à conjuguer ces deux parties de fierté et de manque de confiance en nous ? On en parle beaucoup, en ce moment, compte tenu des difficultés que nous traversons. C'est vrai que nous avons énormément d'atouts et des difficultés mais au lieu de capitaliser sur les atouts, les salariés n'ont pas confiance en ces atouts. Est-ce uniquement un problème de management ? Qu'est-ce qui peut expliquer cet état d'esprit ?
M. DUPUY.- Permettez à un de vos clients Platinium à vie que je suis, de vous dire qu'entre la performance d'Air France sur le territoire national, et celle des compagnies américaines sur leur propre territoire, il n'y a pas photo. Si vous me demandez de choisir, j'aurais vite choisi, pour vous donner la confiance qui vous vient du client.
Que vous soyez fiers de la compagnie, je crois que c'est assez normal compte tenu de son histoire, compte tenu d'où vient Air France, de ce qu'elle a fait et même de la place d'Air France.
Par contre, il n'y a pas de contradiction entre la fierté que vous partagez tous et la crainte de l'avenir. Ce qui vous fait peur, c'est qu'aujourd'hui, quand vous demandez à un dirigeant quelle est sa stratégie, il ne sait pas bien. D'ailleurs, la vraie question qui est derrière cela, c'est de connaître son propre avenir. Aujourd'hui, le dirigeant a beaucoup de mal à répondre à cette question, parce que c'est extraordinairement incertain.
QUESTION.- Je n'ai pas envie de dire cela mais si un Néerlandais ou un Américain vous aborde et vous dit "faites-moi confiance", vous n'allez pas lui faire confiance. La confiance, c'est quelque chose qui se gagne, qui se mérite, qui se démontre. Si un collaborateur demande "où va-t-on, quelle est la stratégie ?" et que la réponse est "je ne sais pas", cela fait extrêmement peur. S'il vous dit "je ne peux pas vous donner de garanties quant au futur, quant à l'avenir" là, c'est une façon de gagner la confiance.
M. DUPUY.- C'est ce que je voulais dire. Si vous voulez générer de la confiance, il n'est pas suffisant de dire « faites-moi confiance », parce qu'il va y avoir un doute. Mais, si une fois, deux, trois, quatre, cinq fois, vous faites ce que vous avez dit, cela veut dire que vous devenez prévisible. Étape par étape, pas à pas, vous construisez la confiance, puisque vous réduisez le champ de l'imprévisibilité entre les individus. Donc, vous devenez quelqu'un en qui les gens peuvent avoir confiance, sur qui les gens peuvent compter. Aux Etats-Unis, à mon avis, l'élément de confiance a été plus intégré qu'en France.
QUESTION.- Aux Etats-Unis, cela fait référence à de vieilles valeurs, à d'anciennes traditions. Et nous, les enfants de la classe moyenne et des classes de travailleurs, des classes pauvres, la conclusion que nous tirons de tout cela, c'est que lorsque les leaders, les politiciens, les industriels, les présidents-directeurs-généraux nous demandent de leur faire confiance, on leur fait confiance si on est en capacité de les licencier. Sinon, on ne leur accorde pas la confiance.
M. DUPUY.- Il y a une contradiction si vous y réfléchissez. Il y a des films dans lesquels tout le monde se méfie de tout le monde, notamment dans les films américains. Les Français adorent ces films américains. D'un autre côté, sur les formulaires à remplir pour l'obtention d'un visa américain, une des questions posées est : "voulez-vous tuer le président américain ? Oui, non" Un Français ne comprend pas ce qu'il y a derrière une telle question, c'est-à-dire la possibilité de dire la vérité. Si vous trahissez ce que vous avez dit, c'est fini pour vous. Donc, il est difficile pour d'autres cultures de comprendre cette logique.
QUESTION.- Une expression très traditionnelle, très typique d'un Américain, c'est qu'on ne fait pas confiance aux gens tant qu'ils n'ont rien démontré. Cela fait 40 ans que je vis en dehors des Etats-Unis. On m'a dit que j'avais besoin de tout remplir sur les formulaires. Lorsqu'on me demandait si j'étais en vacances ou en affaires, je me disais qu'en tant citoyen américain, je n'avais pas besoin de remplir de formulaire. La réponse officielle a été "vous pourriez être un étranger, donc on vous demande de remplir ce formulaire".
QUESTION.- Vous avez beaucoup parlé de taylorisme, puis de confiance. Or, dans le transport aérien en général, pour des impératifs de sécurité, le taylorisme est excessivement présent dans les compagnies aériennes. Selon les experts, l'amélioration de la sécurité des vols avait été acquise par un empilement de procédures à caractère totalement tayloriste dans leur exécution. Cela pose question. Il faudrait savoir améliorer la sécurité des vols sans avoir une attitude tayloriste mais jusqu'à présent, on ne sait pas le faire. Cela contribue au phénomène suivant, c'est qu'on empile des procédures par dessus des procédures déjà existantes et que si l'on respecte toutes les procédures, plus aucun avion ne décolle.
Cela entraîne tout un tas de phénomènes ennuyeux. En particulier, le fait que tout un chacun, dans ce domaine, est confronté à un moment donné à ne pas pouvoir respecter les procédures qui lui sont assignées, sinon il sait que les vols ne vont pas partir. Tout un chacun est conduit à s'habituer à la routine de ne pas respecter les procédures et à un moment donné, un accident arrive.
On aimerait pouvoir collaborer et faire confiance mais dans la sécurité des vols, c'est interdit. Il y a des circonstances où quand quelqu'un intervient sur une tâche précise, quelqu'un d'autre doit absolument vérifier, sans faire confiance à la personne, qu'il a bien exécuté la tâche. C'est en particulier le cas pour les mécaniciens. On appelle cela la réitération dans ce métier. C'est très difficile dans notre monde de l'aérien de quitter un comportement tayloriste dans le domaine de la sécurité. Comme la sécurité est présente au moins dans le monde des pilotes ou des mécaniciens et quelques autres métiers, cela diffuse très facilement dans le reste de l'entreprise qui autrefois avait un fonctionnement un peu militaire.
On a du mal à passer à un mode de confiance avec un fonctionnement horizontal. On le vérifie, en particulier dans la période actuelle où, entre Air France et KLM, la confiance n'est pas encore totalement présente. Certains souhaitent garder un lien hiérarchique, que je pourrais qualifier de taylorien, dans leur entreprise avec une verticalité qu'ils conserveraient, alors même qu'il faut qu'ils collaborent de façon horizontale avec les autres.
M. DUPUY.- Sur les procédures de sécurité dans l'aérien, je comprends très bien ce que vous dites. Il y a un jeu avec la procédure qui dit : où est-ce que je prends un risque et où est-ce que néanmoins je n'en prends pas et j'assure un minimum de fluidité du trafic ?
Concernant le rapprochement Air France-KLM, sur toutes les fusions que j'ai étudiées, les seules que j'ai vu véritablement marcher vite, ce sont les fusions dans lesquelles on n'a pas hésité à faire un maximum de transferts de personnel d'une entreprise à l'autre. D'un certain point de vue, en matière de fusion, j'ai presque envie de dire que la prudence est mauvaise conseillère.
M. VAN DER WAL.- Je souhaiterais revenir à Air France-KLM, plutôt que de parler de confiance, est-ce vraiment une question de confiance ? Je pense que des deux côtés, il y a des inquiétudes quant à la survie des deux entreprises. Je pense que ce n'est pas un problème.
La question n'est pas tant : "est-ce que les Néerlandais aiment les Français ? Est-ce que les Français aiment les Néerlandais ?" On a l'habitude de travailler les uns avec les autres comme avec d'autres nationalités. Je crois qu'on a la capacité de se tenir la main, de se serrer les coudes malgré parfois l'avenir qui est un peu incertain.
La confiance, je crois que cela va plus loin, au-delà des inquiétudes que l'on peut avoir. Il y a les inquiétudes, d'une part et peut-être la problématique de la vraie confiance qui est quelque chose de quand même profond.
M. BOUR.- Etablissez-vous un lien entre le nombre de niveaux hiérarchiques dans une entreprise et cette confiance ? Je pense qu'aujourd'hui, par rapport à il y a une trentaine d'années, quand je suis entré dans cette société, la moyenne de compétence des gens est nettement supérieure. Donc, il me semble que les niveaux hiérarchiques deviennent une entrave au développement de cette performance, qui repose sur la confiance.
M. DUPUY.- Je crois que vous avez raison. D'ailleurs, j'ai consacré tout un chapitre dans mon livre aux "bureaucraties intermédiaires", c'est-à-dire tous ces niveaux intermédiaires qui produisent de la règle, de la norme ou du contrôle. De ce point de vue, je suis assez d'accord avec vous.
Maintenant, il y a un envers de la chose. Toutes les études sociologiques que nous avons montrent quelque chose qui peut paraître paradoxal. Plus il y a d'échelons hiérarchiques dans une organisation, moins, les gens considèrent que la hiérarchie est pesante. Plus l'organisation est plate et plus ils considèrent que la hiérarchie est pesante.
Qu'est-ce qui explique cela ? Lorsque vous avez beaucoup d'échelons hiérarchiques, cela vous ouvre des marges de jeu extraordinaires. Lorsqu'il y a peu d'échelons hiérarchiques, vous êtes immédiatement en contact avec le chef, avec peu de possibilités de jeu. Ce sont des organisations qui sont sans doute plus efficaces en étant plates mais plus exigeantes.
QUESTION.- On peut dire aussi que cela génère plus de satisfaction professionnelle d'être autonome et d'avoir une responsabilité clairement établie.
M. DUPUY.- Encore une fois, Monsieur, je me méfie terriblement du mot « autonome ». Ce que l'on a appelé au cours des ans, l'autonomie, c'était le fait de travailler dans des silos où l'on n'avait besoin de personne pour faire ce que l'on avait à faire. C'est une situation bénie. Le problème, c'est que l'autonomie coûte cher. Par la coopération, nous allons réduire nos coûts mais ce sera beaucoup moins confortable à vivre que l'autonomie.
C'est pour cela que je me méfie de cette situation d'autonomie qui est de dire "cool !" Quand on veut rendre un meilleur service à un moindre coût, ce n'est pas cool. C'est ce que j'ai essayé de dire au début.