Résumé de l'intervention
M. D'IRIBARNE.- Philippe d’Iribarne s’attache à comprendre « l’irrationalité humaine » qui se manifeste dans l’entreprise et la société, notamment sur les questions de droit du travail.
En France, les métiers peuvent être distingués en plusieurs catégories : cléricaux (savoir, art, poésie, science « pure »), bourgeois (commerce, administration, finances), aristocratiques (aventure, risque, pouvoir, commandement au masculin, accueil au féminin) et travail servile (service).
Des tensions naissent lorsque dirigeants et salariés ne font pas le même métier. Ainsi, les pilotes, porteurs d’une vision aristocratique de leur métier considèrent probablement que leur direction doit être à leur service (dans le cadre de l’exercice de leur profession), tandis que cette dernière les pense au service de l’entreprise.
Or l’avènement d’un monde plus concurrentiel et l’accroissement des considérations de rentabilité déstabilisent la notion de grandeur du métier. Le développement d’un mode de management « à l’américaine » remplace la référence au métier par des indicateurs de performance dans le cadre d’un amenuisement de la notion hiérarchique où les dirigeants apparaissent de plus en plus comme étant les égaux des dirigés.
Or, dans les entreprises françaises, le plus souvent, les dirigeants donnent une image d’arrogance, alors que les dirigés se détachent du jeu sans reconnaître leur autorité. Ces positions alimentent le risque de jacquerie et la perte de confiance dans l’autorité.
La référence à la noblesse du métier étant structurelle dans la société française, il est préférable de la gérer avec intelligence. Les transformations doivent s’inscrire dans la logique du métier. C’est ce qu’ont su faire des sociétés comme EDF, la RATP ou France Telecom. Ainsi, le passage de la notion d’usager à client chez EDF a été bien vécu par le personnel technique, qui l’a considéré comme une extension de sa responsabilité.
Aux Pays-Bas, les conceptions des rapports de travail sont très différentes. La défense des prérogatives du métier telle qu’exercée en France est perçue comme agressive et antisociale aux Pays-Bas. En même temps, l’obligation de consultation est très étendue.
Faute de comprendre les logiques réciproques, les Français risquent de paraître fantasques aux Néerlandais tandis que ces derniers sont perçus par les Français comme à la fois superficiellement arrangeants et habiles dans la défense de leurs intérêts.
Les acteurs sociaux sont largement pris dans des logiques qui les dépassent et les entraînent dans des malentendus au point de considérer que la seule solution est de céder ou de passer en force, alors qu’il existe des solutions compatibles avec la logique de chaque acteur tout en étant satisfaisantes pour l’entreprise.