Résumé de l'intervention
M. KOOIJMAN.- Je vais faire un point sur le rapprochement KLM-Air France ; nous allons remonter un peu dans le temps et faire un petit peu d'histoire. Le passé, je pense, est un élément important pour mieux comprendre l'avenir.
Au début, on a beaucoup parlé de droit néerlandais, notamment des différences de prérogatives entre les comités d'entreprise. Je pense que ce serait une erreur de s'attacher simplement à ce que dit la loi sur les comités d'entreprise, notamment du côté néerlandais, parce que les enjeux vont bien au-delà. Il est important de connaître le contexte néerlandais, comment nous faisons les choses, comment nous travaillons. Le contexte historique est donc essentiel.
Les instances des comités d'entreprise, notamment le CCE du côté français et du côté néerlandais, sont très différents. Le CCE est un comité central qui gère les grandes orientations. Chez KLM, nous avons un seul comité d'entreprise et celui-ci gère logiquement, les éléments les plus importants comme également certains détails, qui sont gérés en France par les comités d'établissement. Ce qui fait qu'il faut, je pense, analyser les choses parcimonieusement pour qu'il n'y ait pas de confusion.
N'oubliez pas que tout ce que je vais vous dire n'est peut-être pas politiquement correct, mais il n'y a aucun jugement derrière. Tous les éléments constitutifs de cette présentation sont donc faux, ne l'oubliez pas mais j'espère qu'ils constitueront de la matière à réflexion.
Lorsque l'on regarde notre histoire, pour KLM, le rapprochement a été un acte de protection. Ce contexte historique est nécessaire pour comprendre le comportement des Néerlandais.
A l'époque du rapprochement, Air France venait d'être privatisée et là encore, l'histoire était en marche. Les 24 premiers mois du rapprochement chez Air France ont consisté à traduire un certain nombre d'articles de réglementations permettant de passer d'une entreprise étatique à une entreprise privée.
Chez KLM, nous étions sur quelque chose de très différent, c'est important à comprendre. Deux entreprises qui se rapprochent mais qui ont des calendriers et des préoccupations très différentes.
KLM avait, à l'époque, une dette tout à fait significative. A ce moment-là fut inventé le concept du Groupe : un Groupe, deux compagnies aériennes, trois business. Et pendant les dix premières années, cette approche a été privilégiée. Rappelez-vous au début du rapprochement, à l'époque, le Groupe était un concept purement juridique mais qui avait très peu de portée. Finalement, les choses ont évolué en 2013 pour ouvrir un nouveau chapitre du Groupe, mais nous ne pouvons pas ignorer le cheminement de ces dix premières années.
Je pense que c'est d'autant plus vrai pour KLM comparé à Air France. Le président-directeur-général d'Air France, à l'époque, était également le président-directeur-général du Groupe ; le directeur financier, idem. La distance entre Air France et le Groupe était donc relativement peu importante, à l'inverse de la distance entre KLM et le Groupe.
Nous avons démarré en 2004, avec un comité de Direction stratégique comprenant 4 membres d'Air France et 4 membres de KLM. Cette parité était importante.
Entre 2007 et 2012, nous sommes passés au système de comité exécutif Groupe avec 17 membres possédant une double casquette. Vous portiez la casquette de votre fonction au sein de la compagnie aérienne et en plus une seconde aux couleurs du Groupe. On voit bien l'évolution au cours de cette phase, mais chaque entreprise conserve quelque part ses prérogatives.
Puis, en juillet 2013, nous avons entamé un nouveau chapitre vers un système à casquette unique, avec cette fois-ci, de véritables postes du Groupe. C'est donc un changement très important dans la dans sa conception et la construction du Groupe.
Cela fait 10 ans que nous travaillons ensemble et certains peuvent encore s'étonner que nous ne soyons pas déjà, après 10 ans, complètement intégrés. Cette chronologie tente de l'expliquer.
Il n'y a pas d'employé Groupe, même s'il y en a peut-être un, mais nous sommes employés des compagnies aériennes, et là encore, c'est une complexité. Ce serait peut-être beaucoup plus simple de basculer tous les salariés vers le Groupe, le niveau hiérarchique en serait simplifié et on n'en parlerait plus. Évidemment, il y aurait une vraie complexité, notamment au niveau des droits du travail, etc. mais d'un point de vue purement organisationnel, ce serait beaucoup plus simple.
Revenons sur le sentiment prédominant à l'époque. D'après les Néerlandais, cela allait être impossible de travailler avec des Français. Par ailleurs, tout le monde doutait de la réalité de l'indépendance d'une entreprise, qui faisait partie d'un Groupe. Ces sentiments que certains ont développé, ont joué un rôle majeur depuis le tout début.
Du côté des Français, au tout début, je crois qu'il y avait une véritable inquiétude quant à la façon de travailler avec ces Néerlandais, qui parlent si bien l'anglais et également à propos de la situation financière de KLM.
Pour les deux entreprises, le rapprochement était un simple transfert d'actions de KLM vers Air France sans transfert vers le Groupe Air France. Ensuite, le Groupe a été créé et à ce moment-là, Air France est devenue une filiale du Groupe. Cette évolution, encore une fois, était importante, et il faut bien comprendre ce qu'il y avait derrière.
Passons maintenant à la culture.
Lorsqu'on travaille entre collaborateurs de nationalité différente, l'un des éléments les plus importants, correspond à l'inégalité de traitement que chacun entretient avec la langue. Pour un Français, il est essentiel de s'exprimer avec nuance, d'utiliser les bons mots, les bons concepts. Un Néerlandais s'en moque, l'important c'est d'être compris. Si on ne le comprend pas, le Néerlandais va utiliser un autre terme, une autre expression pour essayer d'être compris. C'est une différence mais il est important de la comprendre, parce que cela explique les difficultés des mécanismes de notre collaboration.
Les Français sont brillants en termes de pensée conceptuelle. Les Néerlandais sont des gens très pragmatiques. Ce qui fonctionne, c'est ce qu'il faut faire. Si cela ne fonctionne pas, il faut faire autre chose. Dans notre mode de collaboration, sur ces dix dernières années et encore aujourd'hui, ce type de différence joue un rôle important.
La façon dont les Français résolvent les problèmes reste une façon juridique ou légaliste. Les Néerlandais n'attachent pas beaucoup d'importance au légalisme. On a un mot qui est très étrange, qui est difficile à traduire en français. La meilleure façon de le traduire est le mot "tolérance". Ce sont deux cultures différentes, deux mondes différents, deux façons de penser et d'aborder les choses très différemment.
Selon le mot néerlandais, nous nous focalisons sur le "faire ensemble" et ce, dès l'école. La performance individuelle en France, est logiquement, par nature, survalorisée par rapport aux Pays-Bas. Tout votre modèle est donc basé sur la performance individuelle de vos collaborateurs. Ceci se reflète au sein des comités d'entreprise et dans les relations sociales. Le consensus, pour nous par définition, représente une démarche bien plus complexe, bien plus subtile, plus laborieuse, plus chronophage que vous ne l'imaginez. Cela prend du temps d'atteindre un consensus. Du côté français, l'opinion personnelle reste bien plus importante.
En termes de management, en termes d'attitude et de comportement managérial, les deux styles et les deux systèmes de management issus de leur culture sont totalement différents.
En France, la façon de faire est très hiérarchique. La personne tout en haut définit les orientations et les autres en dessous, dans chacun des domaines, déclinent ces orientations.
Dans le modèle néerlandais, c'est le modèle participatif qui est privilégié. Un manageur néerlandais qui n'a pas de discussion, presque de dispute, de désaccord avec ses collaborateurs, n'arrive plus à bien fonctionner.
C'est totalement inenvisageable dans un contexte français. Les manageurs néerlandais qui gèrent des collaborateurs français se retrouvent donc très mal à l'aise dans des situations très insécurisantes, parce qu'ils ne se voient pas remis en cause.
La séniorité, l'expérience, les longues années durant lesquelles vous collaborez dans l'entreprise sont très valorisées en France. Dans le modèle néerlandais, nous pensons qu'avoir 5 ans d'ancienneté dans un métier, dans une fonction, est bien trop long. Il faut passer du fret à la maintenance, à un autre poste, une autre fonction, permettant d'obtenir des manageurs polyvalents. Encore une fois, cette approche totalement différente n'est pas meilleure ou moins bonne.
Une autre différence : contexte implicite contre contexte explicite. Lorsque vous êtes dans un contexte explicite, on entend ce qui est formulé, c'est très simple. Mais dans le rapport des Français à l'utilisation de la langue, il y a beaucoup d'implicite dans les décisions comme dans les messages qui sont donnés.
Chers amis Français, comprenez bien que vos collègues néerlandais ne vous comprennent pas. Ils vous entendent mais ne vous comprennent pas. Il y a vraiment des dissemblances dans ce domaine.
De par l'expérience avec les syndicats en France, y compris au niveau du comité européen, les syndicalistes souvent font des déclarations en lien avec la déclaration finale qui sera faite. Encore une fois, c'est une question de publicité qui est donnée, de visibilité. Il y a une mise en scène. Les Néerlandais sont différents. Ils s'intéressent au contenu. Si vous essayez d'obtenir un consensus, il n'est pas souhaitable de faire des déclarations et que tout le monde soit en accord avec cette déclaration. Si vous faites cela, il est très difficile d'obtenir un consensus, car vous n'allez faire que négocier et revenir à votre précédente déclaration.
Dernière différence : concertation/consultation contre obtention d'un accord.
Je vous montre ici le résultat d'entretiens que nous avons menés, ces six derniers mois avec des dirigeants au sein du groupe Air France-KLM, des deux côtés.
Il ressort de ces entretiens, les comportements souhaitables et ce qu'il ne faut pas faire.
Première chose à ne pas faire : garder les informations pour soi.
Deuxième élément : avoir une culture où l'on rend responsable l'autre. La culture néerlandaise, c'est d'identifier les différences afin de les expliquer et travailler ensemble, collaborer.
L'un des facteurs les plus compliqués, dans notre situation actuelle, entre nos deux cultures n'est pas la méfiance mais le manque de confiance. Cela fait dix ans que nous travaillons ensemble. Donc, nous connaissons bien les bons et les mauvais des deux côtés.
Là, maintenant, nous sommes dans une phase d'intégration. La logique, c'est qu'il faut s'intégrer avec les collaborateurs qui sont meilleurs que d'autres, notamment avec les "mauvais". Donc, il y a quelques problèmes.
Nous avons quelques problèmes devant nous :
• Nos résultats qui nous forcent à collaborer plus étroitement que par le passé. C'est un vecteur d'intégration très important.
• Tout semble important. Rien n'est mineur. Dans ce cas, rien n'est maîtrisable. Lorsque l'on travaille dans un Groupe, il y a des choses plus importantes que d'autres. Si c'est moins important, il faut lâcher prise du côté français et du côté néerlandais, des deux côtés.
• Le défi de passer d'un Groupe où il y a une compagnie française et une compagnie néerlandaise à un Groupe international. Il nous faut rentrer de plain-pied dans un contexte international. Oui, il y aura d'autres cultures et d'autres nationalités. Ceci va être un vrai fardeau pour nos collaborateurs français parce que par nature, la langue sera l'anglais. Cela le sera moins pour les collaborateurs néerlandais mais nous sommes des professionnels des deux côtés, nous travaillons dans le même secteur des deux côtés.
La bonne chose, c'est qu'il n'y a pas de retour en arrière possible. Si quelqu'un, ici, du côté français ou du côté néerlandais, pense qu'il y a un retour en arrière possible, c'est une erreur. J'en suis convaincu. C'est une différence énorme par rapport à la fusion avec Alitalia où il y avait une option de retour en arrière. Nous le savons bien.
Donc, je pense de façon très simple que si nous faisons les choses bien, nous pouvons faire les choses mieux. Nous pouvons faire les choses plus vite et nous pouvons faire les choses de façon bien plus intelligente que nous ne le faisons, aujourd'hui.
Contact email : wim.kooijman@klm.com
Résumé du débat