Résumé de l'intervention
M. SPINETTA.- Je n'ai pas de planche à vous présenter, de graphiques ou de chiffres mais j''aimerais réfléchir avec vous à quelques problèmes.
Nous sommes dans une phase de restructuration importante avec des annonces qui ont été faites, un plan, des échéances. Je souhaiterais aujourd'hui dire à quelles conditions nous pouvons réussir.
D'entrée de jeu, nous ne pouvons pas prendre le risque de ne pas réussir.
Avant de parler d'Air France, je voudrais faire un petit retour sur ce que nous sommes, nous, les transporteurs aériens.
Il existe une distinction dans l'ensemble des métiers entre les métiers régionaux (on vend là où l'on produit ; principalement des activités de services) et les métiers mondiaux.
Le métier de l'aérien est incontestablement un métier de services. Cependant, c'est également un métier mondial où l'hyper concurrence est une réalité et le sera de plus en plus.
L'histoire du transport aérien, ces deux dernières décennies, est l'histoire d'un monde qui était protégé par des règles nationales et qui s'ouvre, depuis 1993, avec l'institution d'un marché unique, dans lequel la liberté d'établissement et de droits de trafic est totale et sans aucune réserve. D'où l'apparition des low cost, des "concurrents continentaux", qui se donnent comme objectif le marché européen et qui peuvent exercer leur activité de manière totalement libre.
Deuxième réflexion : nous sommes tous frappés, semble-t-il, par l'écart entre 1992-2007 (période des années glorieuses pour le transport aérien européen) et la période qui s'est ouverte en 2009, 2010, 2011 et sans doute 2012. En effet, quand on regarde l'évolution du paysage aérien mondial sur ces 15 années, 1992-2007, on a le sentiment que le transport aérien européen faisait la course en tête, à la fois du point de vue de sa croissance, de ses parts de marché mais aussi de ses résultats.
Pourquoi ? Parce que cette période est celle où les grands acteurs européens constituent les systèmes de grandes plateformes de correspondances européennes. À travers la logique économique des hubs, ils rationalisent leur exploitation ; ils étendent leur domaine de compétition et de concurrence avec d'autres ; ils réduisent leurs coûts de manière significative. Cependant, si les hubs sont une manière de réduire les coûts, ce sont aussi au sol des coûts supplémentaires. Il faut en permanence regarder les coûts qui peuvent être réduits grâce à la structure du hub et ceux qui augmentent, pour être dans une logique d'amélioration et de rentabilité et pas dans une logique régressive.
Les transporteurs aériens font cet effort et ils sont les premiers à entrer dans une phase de consolidation transnationale. Cette consolidation permet d'améliorer encore la performance des uns et des autres.
Que s'est-il passé pour arriver à la situation actuelle ? D'abord l'émergence de nouveaux compétiteurs: les low cost, les compagnies du Golfe et les compagnies de pays émergents comme les compagnies chinoises.
En surplomb de ces phénomènes d'apparition de nouveaux compétiteurs, une crise économique et financière 2008-2009 et une crise aigüe du prix des matières premières avec ce qui s'est passé dans le domaine du pétrole.
Au fond, la brutalité de la crise, on la voit bien dans ce qui se passe en 2009 pour le groupe Air France-KLM : nos coûts baissent de manière sensible, parce que le pétrole baisse. Mais encore plus spectaculaire, c'est la chute brutale de nos recettes unitaires de 15 % sur l'ensemble de nos vols court-courrier, moyen-courrier et long-courrier. C'est cet effet de ciseaux qui crée les pertes extrêmement importantes de l'année 2009.
Il y a une chose de profondément exacte et juste, c'est la nécessité, dans les entreprises, de dire la vérité, en tout cas, sa vérité. Toutes les vérités sont discutables, surtout en matière économique.
La vérité, quelle est-elle ?
La crise de 2009 n'est imputable à aucun transporteur aérien. C'est un changement brutal de marché, de circonstances économiques.
Là où une erreur d'analyse a probablement été faite, c'est dans l'interprétation de ce que cette crise économique signifiait pour notre métier, puisque la question qui se posait était de savoir si, après cette crise, notre secteur en Europe retrouverait les fondamentaux qui prévalaient dans la période antérieure.
Quels étaient-ils ? C'était une capacité, à travers les tarifs, à transférer les coûts du pétrole ou une partie de ces coûts à nos consommateurs. Après la crise de 2009, notre secteur se trouve dans une situation qui reste toujours conjoncturellement difficile mais structurellement différente que celle qui prévalait avant la crise. C'est-à-dire une situation où il faut durablement faire face à une réalité de recettes unitaires pour l'ensemble de notre activité court/moyen-courrier, long-courrier inférieures à ce qu'elles étaient avant la crise.
Il y a à cela de multiples raisons (nouveaux compétiteurs, références de prix qui se sont progressivement installées, comparateurs de prix accessibles et disponibles pour tous, la recherche de prix les plus bas possible). La réalité à laquelle nous devons faire face et devant laquelle nous ne devons pas biaiser est que, même si la performance d'Air France et d'Air France-KLM reste remarquable lorsqu'on la compare à celle des autres, il y a des éléments d'évolution lente voire de baisse structurelle de la recette unitaire, qui doivent guider l'ensemble des actions à conduire.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? Nous sommes dans une situation sérieuse. Il y a urgence pour Air France et Air France-KLM à corriger cette situation. Nous ne sommes pas dans la situation de 1993. Nous sommes dans une situation difficile où l'endettement a retrouvé les niveaux de 2004 au moment de la fusion entre Air France et KLM. Cependant, contrairement à 2004, nous sommes dans une période où l'opportunité de réduire l'endettement, fondée pour l'essentiel sur la situation des marchés sur lesquels nous opérons, a profondément changé et la situation actuelle appelle des mesures correctrices importantes.
Je le dis de manière très nette : je considère personnellement que la structure de plateformes de correspondances, construite par le groupe Air France-KLM, tant à Roissy qu'à Amsterdam, reste une structure pertinente. Ce modèle de hub constitue encore un de nos atouts majeurs sinon l'atout majeur.
Évidemment, faire la course en tête en termes de part de marché n'a pas de sens. Il faut qu'elle se fasse également en termes de rentabilité, en termes de profitabilité. Au fond, c'est l'ambition de tout ce qui a été lancé dans l'entreprise sur la réduction de l'ensemble de nos coûts d'exploitation et la recherche d'une efficacité améliorée de 20 % entre aujourd'hui et 2014, par rapport à la situation qui est celle que nous constatons aujourd'hui. Il est clair que ce travail doit passer par une révision de l'ensemble de nos process, par une remise en cause ou une révision de l'ensemble des règles d'utilisation des personnels de l'entreprise navigants et non navigants.
L'objectif de l'entreprise est de réduire ses coûts au siège/kilomètre offert de 10 %, hors dépenses pétrolières. C'est un objectif absolument indispensable. Il doit nous permettre d'améliorer fortement notre génération d'autofinancement pour les années à venir, de faire baisser notre dette, tout en permettant à partir de 2015, de financer les investissements auxquels aucune compagnie aérienne ne peut durablement se soustraire si elle souhaite continuer à faire la course en tête en termes de compétitivité.
Est-ce possible ? Je le crois profondément. Je pense que c'est indispensable, qu'il n'y a pas d'échappatoire. On ne peut pas, dans ce domaine, échapper à cette contrainte de réduire les coûts. Le paysage de concurrence sans cesse renforcée entre les grands acteurs, nous y conduit inévitablement.
Je voudrais très rapidement dire comment je vois l'avenir de l'entreprise.
➢La consolidation européenne n'est pas tout à fait achevée. Il faut l'achever (Alitalia).
➢Deuxième élément plus difficile : il faudra redéfinir de manière très profonde notre modèle d'organisation entre Air France, KLM et peut-être d'autres compagnies qui rejoindront le groupe, dans le souci d'augmenter l'efficacité, la compétitivité, la rapidité de réaction sur nos sujets.
➢Le dernier élément, c'est l'exigence de multiplier nos partenariats (joint-ventures).
En conclusion, le mot-clé, pour nous, c'est évidemment le mot "compétitivité". Aujourd'hui, si le groupe Air France-KLM va mal, notamment Air France, c'est parce que nous ne sommes pas suffisamment compétitifs. C'est quelque chose que nous connaissons. Nous n'échapperons pas à la résolution d'un certain nombre de problèmes dont notamment celui du court/moyen-courrier.
Le débat qui n'a peut-être pas eu suffisamment lieu dans l'entreprise à l'occasion de cette crise est bien celui-là : était-on en face d'un spasme conjoncturel qui allait s'effacer? On aurait pu le croire avec le rebond de 2010. Ce n'était qu'un rebond et pas une nouvelle tendance. Et la vraie tendance de fond est bien celle de fondamentaux de notre métier profondément et durablement modifiés par la crise, essentiellement sur deux aspects : du côté des coûts, le coût du pétrole et du côté de la recette, une incapacité à transférer ces coûts du pétrole à nos clients pour nous permettre d'y faire face dans de bonnes conditions. Cela exige un effort interne tout à fait important.
Des accords de méthode ont été conclus. J'y vois une promesse pour le proche avenir, d'une entreprise qui saurait trouver en elle-même les ressources pour analyser la situation telle qu'elle est, ne pas se payer de mots, et prendre, avant que la situation ne soit très grave, les mesures nécessaires pour corriger une tendance qui, si elle n'est pas corrigée, oui à l'évidence, deviendra très grave.
Le travail que nous allons devoir faire est bien celui de trouver en notre sein, en nous-mêmes, des ressources pour, sur une base de négociation de contractualisation, trouver des réponses aux problèmes que je viens d'évoquer.
Je voudrais parler d'un dernier sujet : l'emploi. Par définition, la compétitivité et la productivité ne sont pas les ennemies mais elles sont les amies de l'emploi. La croissance rentable est celle qui crée de la rentabilité, qui améliore les marges et augmente les profits et le résultat net. Nous ne sommes plus, aujourd'hui, dans une structure de coûts qui nous autorise la croissance rentable.
C'est cet effort qu'il va nous falloir faire dans les semaines et mois qui viennent : revoir nos structures de coûts, de façon à avoir un modèle économique plus efficace et à travers ce travail difficile, exigeant mais que je crois indispensable, d'arriver à terme à retrouver une ambition de croissance, une ambition de bons résultats, une ambition de stabilité et au-delà de cela, une ambition en matière d'emploi et de stabilité de l'emploi de tous les salariés de l'entreprise.
Merci.
Contact email (chez OMNES) : omnesairfrance@gmail.com
Résumé du débat
M. BOUVET.- Mme Pairault-Meyzer disait : "En 1993, on a fini par se réorganiser et tout le monde a accepté cette réorganisation, parce qu'il y avait un projet". Ce qui est proposé aujourd'hui qui n'est qu'un plan d'économie peut-il se suffire à lui-même sans projet ?
M. BAMBERGER.- Le modèle hub and spot sur de la correspondance long-courrier ou moyen-courrier, selon nous, est un modèle qui existe et qui va perdurer. C'est un modèle extrêmement fort mais qui doit être compétitif.
Sans doute qu'à la marge de ce modèle, au sein du groupe, il y a aussi du point-à-point moyen-courrier qui existe. Il y a un certain nombre d'autres réseaux qui existent et j'imagine que des questions peuvent se poser. La capacité avec le même outil de production de répondre à différentes exigences de différents modèles est toujours un exercice compliqué.
M. ROCHET.- Je ne nie pas la notion de hub. Je dis simplement qu'un hub, à un moment donné arrive à la quasi-saturation de la zone de chalandise qu'il peut gérer et où les organisations de hub bien qu'attractives doivent réagir face à la dérive des coûts au sol.
Par ailleurs, je n'ai pas du tout recommandé la sortie du moyen-courrier, au contraire. J'ai simplement dit trois choses.
Premièrement, pour la santé future d'Air France, pour ses emplois, pour ses personnels et même pour avoir une ambition, c'est un problème qui ne peut pas être repoussé indéfiniment. Il va falloir le traiter.
Deuxièmement, à l'exemple des compagnies américaines, il faut une refondation totale de la notion de service, de la notion de branding, de la notion de coût au sol, dans un tempo, dans un laps de temps donné, en n'hésitant pas à remettre à plat de nombreux sujets.
Troisièmement, je ne suis pas non plus convaincu qu'il faille rester sur l'ensemble du secteur moyen et court-courrier. On ne peut pas être partout présent sur ces micro-réseaux.
M. SPINETTA.- D'abord une remarque préliminaire, mais je pense que tout le monde l'a compris : il y a des sujets sur lesquels je ne peux pas m'exprimer aussi directement que je le souhaiterais, parce que mon rôle n'est plus le même.
Sur le moyen-courrier, Air France-KLM perd 700 millions d'euros en 2011, dont 530 millions à Air France. Il y a un problème du transport aérien régional qu'il faut traiter sérieusement mais on voit bien que l'essentiel des pertes, ce sont les pertes sur le réseau d'apport au hub de Roissy avec le réseau et les avions d'Air France.
Les pertes du réseau point à point domestique peuvent et doivent être effacées très rapidement. Orly est et restera l'aéroport des réseaux point à point domestiques français, plus quelques liaisons européennes également. C'est un atout structurel considérable pour le groupe Air France. Il n'y a vraiment aucune fatalité, je dirais même aucune raison, pour que notre réseau point à point au départ d'Orly ne soit pas bénéficiaire rapidement, grâce à quelques mesures à prendre.
L'objectif qui a été fixé au groupe par le conseil d'administration dans la restructuration du réseau court/moyen-courrier, c'est d'aboutir à un équilibre d'ici trois ans, 2014. Si cela peut être le cas avant, nous ne nous en priverons pas.
Il n'y a pas, dans ces domaines, de fatalité. Il ne faut pas vivre avec l'idée que l'on est en face d'une espèce de fatalité qui pèse sur nous, qu'il n'y a rien à faire.
Je pense que cet objectif de remettre ce réseau à l'équilibre est tout à fait atteignable.
Je crois que le modèle du hub reste tout à fait pertinent en veillant, bien sûr, aux coûts de traitement notamment au sol.
La logique du hub, en complétant un marché local par des réseaux d'apport, c'est :
➢La capacité d'opérer 5 à 6 fois plus de destinations long-courrier (fortement créateur d'emplois).
➢La capacité d'opérer avec des avions de taille importante et en conséquence de réduire fortement les coûts au siège et améliorer sa rentabilité.
Nous avons une centaine d'avions long-courrier à Air France. Quand on a 100 avions, les problèmes ne sont pas tout à fait les mêmes que quand on a une flotte plus restreinte. Chaque type d'avion sert pour des secteurs d'exploitation importants avec des économies qui en résultent.
Comme sur toutes les flottes, les rationalisations de flotte s'étalent sur 20 ou 30 ans. Donc, par définition, il y a des types d'avions qui se superposent mais je crois qu'un des grands atouts d'Air France, c'est la qualité de sa flotte, son efficacité énergétique et les coûts au siège qu'elle génère, notamment grâce à une flotte de 777-200 et 300 extrêmement importante et un avion de plus petite capacité, l'A330.
Une compagnie comme Air France, compte tenu de son modèle économique (Air France et KLM) d'une organisation en grandes plateformes de correspondances mondiales (Amsterdam et Paris), ne peut pas ne pas être présente fortement sur le court et le moyen-courrier.
À partir de là, la question est : sommes-nous capables de le faire dans des conditions de coûts qui ne viennent pas pénaliser l'ensemble de l'entreprise ? Si nous ne sommes pas capables de le faire, inévitablement, se poseront des questions que l'on peut exposer d'un point de vue théorique d'une manière tout à fait simple. Comme doit-on le faire ? Le faisons-nous, nous-mêmes à nos coûts actuels ? Ce n'est pas possible. En réduisant nos coûts ou si l'effort est trop difficile pour des raisons X, il faudra le faire à travers des partenariats.
Si nous sommes capables de réduire nos coûts internes, on voit bien que l'on est capable de ré-internaliser chez Air France un certain nombre d'activités.
Nous sommes obligés d'être présents sur ce secteur. À mes yeux, on ne peut pas quitter ce secteur du court/moyen-courrier. Nous devons y être présents de manière forte, comme nous le sommes aujourd'hui, peut-être un peu moins. On peut peut-être mieux utiliser nos avions, être plus productif mais en termes d'activité, cela doit rester quelque chose d'à peu près équivalent.
Donc, la question est : est-ce en interne, au travers des efforts de tous ? Ou si ce n'est pas possible, il faudra que ce soit fait par d'autres. C'est aussi simple que cela. Ou alors ce serait, pour l'entreprise Air France-KLM, un véritable drame économique.
Si on n'est pas capable de le faire en interne et on n'a pas le droit de le faire en externe, donc, on ne le fait plus et je ne sais pas où l'on va du point de vue du modèle économique et du point de vue de l'avenir de l'entreprise à court terme. Ce n'est même pas à moyen terme, c'est à court terme. C'est une exigence. Je ne vois pas comment on peut ne pas le faire.
Mme PAIRAULT-MEYZER.- Je suis persuadée qu'il y a beaucoup de scenarii et d'études dans tous les dossiers d'Air France, et qu'ils ont été utiles.
Au fond, nous savons tous qu'il y a des efforts à faire, qu'il va falloir les réaliser avec les organisations syndicales. J'ai compris l'ensemble des pistes que vous mettiez en avant et sur lesquelles les dirigeants d'Air France raisonnent. Mais, peut-être les choses ne sont peut-être pas aussi claires et connues de tout le monde.
Je pense que nous avons énormément changé par rapport à 1993. Aujourd'hui, il est difficile de distinguer les résultats du groupe Air France-KLM, de ceux de la société Air France.
L'ensemble des mesures auxquelles on fait appel en ce moment, vont plutôt concerner la société Air France. On sait bien qu'en termes d'emploi, il y a plusieurs variables. Je me demande si on n'aurait pas intérêt, comme vous le faites au milieu de votre discours, à identifier, ce qui est de l'avenir avec Air France-KLM, et ce qui concerne la part d'Air France dans ce projet.
Je ne sais pas s'il faut reparler du hub, de la flotte mais j'ai entendu parler du moyen-courrier. Comment l'envisager ? Quelles sont les mesures d'adaptation ?
Je pense que c'est toujours compliqué quand il y a des équipes qui travaillent d'un côté sur un projet et d'autres qui travaillent sur des mesures d'économies qui paraissent évidentes. Il faut bien le faire mais les deux ne se rejoignent pas nécessairement. Il y a une gestion du temps qui demeure délicate, quand on dissocie les deux équipes au même moment.
En termes de communication et de gestion du temps, ce sont bien les salariés et les organisations syndicales d'Air France qui sont concernés. Comment donc les mettre dans la perspective du groupe ?
M. SPINETTA.- Je n'ai peut-être pas suffisamment parlé du projet. Apparemment, Mme Pairault-Meyzer pense que je n'en ai pas du tout parlé. C'est un peu volontaire. Bien sûr qu'il y a un projet mais il y a une urgence. Je ne voudrais pas que les débats sur le projet nous détournent de l'urgence qui est celle de restaurer notre situation économique et financière. Il y a urgence là-dessus. La situation n'est pas grave mais elle est sérieuse.
Mme PAIRAULT-MEYZER.- Le pronostic vital est-il engagé ?
M. SPINETTA.- Non, mais si on ne fait rien, oui, il le sera très vite.
Quand on a investi en trois ans, 6,5 milliards, que l'on a généré un peu moins de 2 milliards d'autofinancement et que l'on s'est endetté de 4 milliards, si on continue une ou deux années de plus, cela devient gravissime. Il faudra arrêter les investissements.
LA priorité, c'est de restaurer la situation économique et financière du groupe Air France-KLM et notamment de la société Air France. Nous sommes dans une situation difficile.
Nous sommes scrutés par l'ensemble de la communauté financière qui regarde si on va faire ce qu'on a dit que l'on ferait, c'est-à-dire : réduire nos coûts de 10 % ; réduire notre endettement de 2 milliards en trois ans et restructurer notre réseau court/moyen-courrier qui pèse comme un fardeau sur l'ensemble du groupe. Voilà les trois engagements majeurs.
Il y a urgence à réduire nos coûts, à améliorer les choses et à le faire, je l'espère, de manière contractualisée avec l'ensemble des acteurs sociaux de l'entreprise. Il faut préserver l'emploi, la stabilité des choses et ré-offrir un avenir à tous, un avenir durable et stable.
Evitons les faux débats comme : "il n'y a qu'à augmenter la recette" ou "je ferai des efforts si les autres commencent à côté".
Disons-nous plutôt : "je vais commencer à faire des efforts, comme cela tout le monde suivra".
M. DUBOURG.- J'ai vu sur un transparent que le pétrole pouvait être à 120 dollars le baril. Je me projette au-delà de 150 dollars. Le transport aérien sera-t-il capable de faire face à ce genre de hausse du pétrole ?
M. ROCHET.- En préambule, compte tenu de ce que vient de dire le président Spinetta, Air France a les ressources pour trouver des solutions. La pression doit être mise sur le temps, sur la réalité des objectifs à atteindre et sur le langage de vérité.
Pour répondre à votre question, paradoxalement, je pense que si le cours du baril montait au-dessus de 150 dollars, cela poserait, certes, un problème majeur aux compagnies aériennes mais je ne suis pas sûr non plus que ce soit un handicap fatal. Il y a des niveaux où le transport aérien s'arrêterait ou n'existerait quasiment plus.
Premièrement, c'est une chance quand même "d'opportunité". Tout le monde sera traité de la même façon.
Deuxièmement, il y a quand même des avions à l'horizon 2016-2017 dont on sait qu'ils sont capables grosso modo de consommer 15 à 25 % de moins. C'est un avantage important.
Troisièmement, cela nous obligera à revoir considérablement le modèle de desserte. Ce sera sans doute une remise en cause profonde, lourde, notamment de tout ce que l'on a construit autour des fréquences.
M. BAMBERGER.- C'est plus le thème du rythme et de la variation que celui du niveau qui pose vraiment des problèmes forts.
M. ROBARDET.- (Deuxième INTERVENANT) On peut se poser la question de ce qui va se passer dans les prochaines semaines à Air France. S'il n'y a pas d'enjeu stratégique, comment les partenaires sociaux et les agents vont-ils pouvoir comprendre les mesures qui sont demandées à chacun ?
Je pense qu'on est loin de la transparence. Je ne suis pas sûr que l'entreprise (aussi bien les dirigeants que les salariés, que les organisations syndicales) soit prête à cette transparence qui serait, a priori, nécessaire. Je m'interroge sur la volonté réelle de l'entreprise d'y souscrire.
Comment les salariés demain vont-ils pouvoir comprendre ce qui se passe s'il n'y a pas la stratégie et s'il n'y a pas la base de départ ? On leur dit simplement qu'il va falloir faire des économies.
Si, nous élus au CCE ou représentants, nous ne percevons pas ce qu'il y a derrière tout cela, comment les agents vont-ils pouvoir le percevoir ? Il y a un réel effort à réaliser de mettre en accord de part et d'autre de la table, ce que l'on dit et ce que l'on fait.
Mme PAIRAULT-MEYZER.- C'est compliqué. Les élus du CCE ont l'information : comme elle est fournie en assemblée générale d'Air France-KLM. Celle de la société Air France reste confidentielle.
Il s'agit de se demander quel est le rôle de chacun. Les élus ont l'information. Les organisations syndicales ont l'information si elles veulent la trouver. Jusqu'où les organisations syndicales peuvent-elles aller ? Est-ce aux organisations syndicales à faire toute la communication vis-à-vis des salariés ? C'est une question. On sait que c'est difficile.
Si j'attends de mon président et des directions qu'elles regardent les choses en face, je vais vous dire la même chose à vous, organisations syndicales. Si ceux qui ont des responsabilités syndicales ne font pas ce qu'ils pensent profondément être devoir fait et s'ils se posent la seule question de leur réélection aux prochaines élections, ils ne vont pas y arriver car ils vont faire un grand écart qui va être très difficile à vivre.
On sait tous qu'il y a un problème sur les coûts. Il faut y travailler. Je pense que c'est quand même plus simple quand on tombe d'accord sur un projet. Cela ne fait pas perdre du temps, même si ce projet, quel qu'il soit, n'est effectivement pas à remettre en cause.
Question.- Ma préoccupation, c'est l'emploi. Or, on a perdu 12 800 emplois d'après un petit calcul.
Quand j'entends le président Spinetta dire "soit on fait quelque chose sur le moyen-courrier et on l'a bien compris, c'est réduire les salaires– soit, on va à l'extérieur", j'ai l'impression que l'on va à contre-courant de ce qui se passe dans la société, actuellement, avec le "made in France". Je réclame le "made in Air France".
Question.- Pensez-vous réellement qu'Air France s'en sorte avec tous ses salariés ou la véritable question est-elle de savoir comment on va pouvoir traiter les sureffectifs ?
M. ROCHET.- C'est la question de fond. Oui, j'ai la conviction fondamentale qu'Air France peut s'en sortir avec l'ensemble de ses personnels.
Premièrement, je pense que la notion de vérité et de responsabilité est fondamentale.
Sur le processus et sur ce que vous demandez qui est légitime, de protéger l'emploi, je pense qu'il y a deux priorités absolues.
➢Restaurer les équilibres financiers et tout ce qui se dit derrière en matière de besoin de refinancement des flottes, des besoins de croissance et autres. C'est l'exigence de l'environnement. Cette question est incontournable.
➢Le faire de la façon la moins douloureuse possible ou la plus accompagnée possible (demande légitime des représentants du personnel).
Dans la plupart des entreprises, ce sont des problèmes que l'on n'ose pas vraiment mettre sur la table.
Deuxièmement, l'entreprise a, aujourd'hui encore, des moyens financiers qui lui permettent d'accompagner des traitements corrects de certains cas individuels ou de certains cas de professions qui peuvent être mis en cause (exemple : les PN).
Troisièmement, là où je ne suis pas tout à fait en ligne avec vous, c'est sur le fait que les métiers doivent rester dans Air France sans être adepte pour autant à des solutions de sous-traitance à tout prix.
Néanmoins, tout le monde doit-il être dans la même structure sociale, dans les mêmes règles de fonctionnement, dans les mêmes habitudes, dans les mêmes poids hiérarchiques, voire dans les mêmes hiérarchies ? La question est posée.
Je n'ai pas dit que j'avais une réponse miraculeuse mais je ne suis pas sûr, pour prendre l'exemple du moyen-courrier (n'y voyez pas une solution, je n'ai pas les éléments pour le faire), que c'est forcément quelque chose qui doit s'appeler Air France.
Plus grave encore que le social : avoir les mêmes directeurs opérationnels qui coiffent l'ensemble. Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure des réponses.
Vous avez des filiales très régionales. C'est sans doute là aussi le mauvais exemple : cela a été trop loin. Il y a sans doute une piste à creuser en regroupant les activités subrégionales. On ne parle pas du moyen-courrier. On est dans le régional/régional.
Ma réponse, c'est : adaptez-vous, sinon effectivement, les conséquences, contrairement à vos objectifs, seront plus dramatiques que cela mais sur l'ensemble de l'activité, il y a du boulot. Air France a encore des parts de marché à l'international qui lui permettent de faire de la croissance. Encore faut-il qu'elle sache s'adapter.
Vous avez des voies d'exploration, mettez-vous autour de la table.
C'est vrai que l'on a toujours une restriction à l'information, à la transparence. Je considère qu'il n'y a pas de solution idéale. Si l'on dit trop de choses, il est clair que c'est dans les médias dès le lendemain. Si on n'en dit pas assez, les gens doutent de votre capacité à faire passer les messages et à les faire comprendre.
La position que j'ai prise, c'est plutôt d'être assez franc et direct, de poser les vrais problèmes. Chacun est alors face à ses responsabilités.